La deuxième assemblée plénière de la Conférence des Evêques de Madagascar s'est déroulée à Ambatoroka du 07 au 15 novembre 2019. Les évêques ont abordé le sujet sur la protection de la "maison commune" une exhortation du Pape François lors sa visite apostolique à Madagascar.
A la fin de l'assemblée, ils ont adressé un message pour tous les chrétiens et aux hommes de bonne volonté pour sauvegarder l'environnement, la vie et le droit humain ainsi que la foi chrétienne. Voici le message intégral, intitulé:
"Espérant contre toute espérance, il crut" (Rom 4, 18)
La Paix soit avec vous !
Nous rendons grâce au Dieu Trinité, car la Visite Apostolique parmi nous du Pape François, notre Père à tous, s’est déroulée dans les meilleurs conditions ; et c’est une joie pour nous, vos évêques, de mettre en commun ici les précieuses richesses spirituelles contenues dans tous les messages qu’il nous a transmis. Il a reconnu l’importance de nos valeurs ancestrales, à savoir le Fihavanana, ce qui nous permet d’approfondir l’objectif qu’il cherche à atteindre en tant que chef de l’Église universelle : « Préserver la maison commune », surtout la nôtre, ici à Madagascar.
1.- Préserver l’environnement
Notre île, Madagascar, est belle et merveilleuse. Bénie de Dieu, elle est riche en ressources naturelles minières, terrestres ou marines. Son climat est encore supportable pour la plupart. À la campagne, l’air est pur et vivifiant. Le pape François a été stupéfait par la beauté et les richesses naturelles que l’on trouve chez nous, et il a ajouté qu’elles valorisent l’« âme malgache ».
Quelle est donc réellement notre situation actuelle ?
C’est comme si la relation avec la nature ne nous concernait en rien. Les feux de brousse sont permanents ; à l’évidence, la destruction des richesses terrestres et minières est irréversible. Ce n’est plus de la maîtrise, c’est de l’agression. En conséquence, le climat se détériore, l’eau se raréfie. Le spectacle de la destruction de notre environnement stupéfie la plupart des personnes qui viennent de l’étranger. La nombreuse biodiversité animale et végétale est en voie d’extinction à cause de son exploitation clandestine et de son exportation illégale. Tous, il nous faut reconnaître que notre environnement est détruit.
Quelles sont alors les solutions ?
Un changement de comportement radical est impératif. Il nous faut tenir à l’environnement comme à la prunelle de nos yeux, surtout avec ce qu’il en reste, pour l’épanouissement de notre humanité et pour l’humanité entière. Que ce ne soient pas là des paroles qui surprennent, mais qu’elles soient mises en pratique et vécues par chacun.
Il faut pousser au plus vite à l’engagement de tous dans le reboisement et la préservation de toutes les créatures. Il a déjà été annoncé une journée nationale du reboisement. Il faut que tous y participent. Il est important que tous y prennent part. "Le travail de la rizière ne peut se faire que si on s’y met à plusieurs": ensemble, tous les citoyens, hommes et femmes, parce que l’union fait la force.
Le pape a dit ceci aux prêtres et aux consacrés: "ce sont aussi les signes de votre victoire quand vous plantez un arbre, ou quand vous aidez à fournir de l’eau potable à une famille". Il a fortement insisté sur ce point, au palais d’État de Iavoloha, auprès des responsables: "il ne peut pas y avoir de véritable approche écologique ni un travail concret de sauvegarde de l’environnement, sans l’intégration d’une justice sociale qui accorde le droit à la destination commune des biens de la terre aux générations actuelles, mais également futures".
Et nous, nous disons que le moment est venu de changer le mot d’ordre actuel: "qui brûle la forêt, brûle la patrie", en le remplaçant par: "qui brûle la forêt tue sa descendance, et qui plante des arbres transmet la vie".
2.- Préserver la vie humaine et les droits humains
Malagasy, préservez "votre identité".
Le pape François s’est bien rendu compte que le peuple malgache a sa propre identité: d’apparence souriante, ouvert aux autres, hospitalier. Il a rappelé que, dans le Préambule de la Constitution de la République malgache, est clairement inscrit ce Fihavanana qui indique notre valeur par excellence, qui évoque l’esprit de partage, d’entraide et de solidarité. En fait partie également l’importance des liens qui relient la parenté, des liens de l’amitié et des liens de la bienveillance avec son semblable et avec la nature.
Depuis l’indépendance recouvrée, les Malgaches ont souhaité avoir l’ordre et la paix. Que notre terre soit heureuse, dit l’hymne national, et qu’elle progresse dans une alternance démocratique sans problèmes, qui témoigne du respect de la complémentarité des manières de gérer et des différents projets. Et cela prouve que "la politique est un moyen fondamental pour promouvoir la citoyenneté et les projets de l’homme" (Message pour la 52e journée mondiale de la paix, 1e janvier 2019).
Pourquoi donc cette dégradation actuelle de l’environnement malgache ?
L’habitat est déplorable, en brousse les familles s’entassent dans des huttes. En beaucoup d’endroits, la nourriture et l’eau potable ne suffisent pas. On ne s’occupe pas des personnes âgées comme il se doit, les pensions de retraite n’arrivent pas au temps voulu. La pauvreté du petit peuple démuni s’aggrave. Et pourquoi ne réussit-on pas à éradiquer la corruption, contre laquelle on prétend fortement lutter depuis si longtemps? Il n’y a plus aucune crainte de Dieu chez les responsables de la Justice, des Domaines, des Douanes et des Centres de santé... Assurément, le fanahy maha-olona (ce qui fait de nous des humains) va mourir, si les choses continuent ainsi. Nos valeurs disparaissent. Cette corruption mène à la mort, et certainement pas à la paix attendue.
On le voit, l’esprit d’accaparement personnel règne encore dans de nombreux lieux de travail. Ces fonctionnaires, ces enseignants dans leurs écoles, ils sont nombreux à ne pas comprendre l’importance de leur fonction. Madagascar est trop abîmé, constatent les touristes venus de l’étranger. Il y en a même qui osent dire qu’ "il n’y a plus d’espoir".
Quelle est donc la solution ?
L’urgence est dans la restauration des véritables valeurs malgaches. Il faut rendre leurs droits et leurs devoirs à tout l’homme et à tous les hommes, pour qu’ils construisent un environnement digne. Au palais d’État de Iavoloha, le Pape François a dit: "Monsieur le président, vous avez parlé avec passion, vous avez parlé avec amour de votre peuple. Je vous remercie pour votre témoignage de patriote".
Ainsi, il faut surveiller de près l’éducation et le travail au sein de la famille, conformément à l’enseignement que le Pape a transmis aux enfants à Akamasoa. Les liens entre les membres de la famille, le voisinage et la nature sont de grande importance. Aussi faut-il examiner de près la structure et le contenu de l’enseignement pour atteindre cet objectif, car ce sont des éléments qui construisent le "fanahy maha-olona".
L’homme développé est capable de développer les autres. Le développement de Madagascar a besoin de compétences à la fois clairvoyantes, sages et exemplaires. Puisent être envoyés partout dans l’île ceux qui ont achevé leurs études, et qu’ils ne s’agglutinent pas uniquement au même endroit ou dans la capitale. Seule la solidarité nous permettra d’atteindre les objectifs communs. On l’a vu jusque dans les victoires de l’équipe nationale malgache (les Barea) en Égypte, tant le peuple malgache est capable de s’entendre. Cela a été confirmé lors de cette visite du pape. "Malgaches, gardez votre identité!"
3- Préserver la totalité de la foi chrétienne
Parmi les caractéristiques des Malgaches, se trouvent l’affirmation de l’existence de Dieu et la crainte de Dieu. "Ne considérez pas le silence de la vallée, mais Dieu au-dessus de votre tête", dit le proverbe. C’est Dieu, dit le Saint-Père, qui a fait que les Malgaches ont le courage de toujours résister, face aux difficultés de toutes sortes, pour préserver leur "vie". C’est Lui qui leur donne cet "esprit" et ces caractéristiques qui les distinguent en tant que Malgaches.
Les efforts initiés par les missionnaires ont formé à cette foi. De même, les épreuves endurées dans l’histoire par les laïcs et les religieux pour faire vivre sans relâche la force de la Parole de Dieu. Ils ont été proclamés bienheureux, aujourd’hui, et les fruits qu’ils portent font continuellement augmenter le nombre de chrétiens, catholiques ou protestants.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Nombreux sont encore ceux qui hésitent et dont le cœur n’est pas totalement attaché à la foi chrétienne. Ils n’osent pas prendre leurs responsabilités. Il y en a qui sont partagés, étant à la fois chrétiens et pratiquant les sampy (religion traditionnelle). Ils trahissent leurs vœux de baptême. Mais par ailleurs, la pauvreté aggrave les choses: nombreux sont les hommes et les femmes, les jeunes, les enfants, qui souffrent et n’ont strictement rien à eux. Nombreux sont les Malgaches qui vivent dans des conditions difficiles, où manquent les besoins quotidiens tels que la nourriture, l’eau, une maison, l’électricité, les routes, les soins médicaux, les écoles, les moyens de communication… Nombreux sont ceux qui portent sur leurs épaules le fardeau de la politique sans y trouver aucun bénéfice. En bref: la lutte pour la vie est sans doute trop dure, de sorte qu’on en oublie la prière, qu’on en oublie le Créateur.
Que faire, alors, pour augmenter fortement la persévérance dans la foi ?
Être chrétien implique des devoirs sacrés. Puissions-nous savoir partager ; renoncer à une mentalité fermée, à un égoïsme plein d’orgueil, pour faire triompher la mentalité des parents qui sont réellement dans le vrai.
Le Pape a lancé un appel solennel au palais d’État de Iavoloha, en disant: "nous voulons imiter l’attitude de dialogue de votre concitoyenne, la bienheureuse Victoire Rasoamanarivo. (…) Son témoignage d’amour pour sa terre et ses traditions, le service des plus pauvres comme signe de sa foi en Jésus-Christ, nous indiquent le chemin que nous sommes aussi appelés à parcourir".
Quant à nous les pasteurs du Peuple de Dieu sans distinction, évêques, prêtres et personnes consacrées, le Pape nous stimule à nous tenir constamment aux côtés du peuple, de nous comporter comme des témoins crédibles et de "ne pas faire de notre appel par Dieu un marchepied pour accéder à "une vie meilleure" ! "Le défi que nous avons à relever ensemble est ‘‘l’Église en sortie’’. Soyez audacieux et sortez, pour porter la lumière de l’évangile dans toutes les régions de cette île. Heureux êtes-vous, heureuse est l’Église des pauvres et pour les pauvres, car elle est imprégnée du parfum du Seigneur, elle est joyeuse d’annoncer la Bonne Nouvelle aux marginaux de la terre, à ceux qui sont les préférés de Dieu".
En résumé
Tout ce que nous venons de dire sera parfait si nous le portons dans la prière et dans la louange à Dieu. Notre prière sera exaucée par Dieu et sanctifiée au maximum si nous nous efforçons de vivre les deux commandements inséparables que Jésus nous a donnés. Nous sommes chrétiens, il nous faut rendre grâce sans cesse à celui qui nous accorde tous les biens. Comme nous l’a dit le Pape, c’est dans la prière et dans l’action de grâce que nous pouvons nous connaître nous-même tels que nous sommes.
Et pour terminer, nous réitérons nos remerciements à tous les Malgaches, que le Cardinal a déjà exprimés à la fin de la visite du Pape. Puisse la bénédiction qu’il nous a donnée faire croître l’espérance et la paix dans nos cœurs. Nous nous incitons à rester solidaires avec la Vierge Marie et les Saints et Bienheureux de notre patrie, pour avancer au large et savoir nous entraider pour que notre Île ne manque pas d’attraits aux yeux du monde. À Soamandrakizay, le Pape a dit aux jeunes: "Tous, nous sommes importants, tous, nous sommes nécessaires, et personne ne peut dire: ‘‘Je n'ai pas besoin de toi’’ ou ‘‘tu ne fais pas partie de ce projet d'amour auquel le Père a rêvé en nous créant’’".
Nous, vos évêques, nous vous bénissons tous.
Antananarivo, 15 novembre 2019
Fête de St Albert le Grand, Docteur de l’Église
Son Eminence le Cardinal Désiré TSARAHAZANA, Archevêque de Toamasina,
Président de la Conférence Épiscopale de Madagascar.
S. Exc. Mgr Samuélin Marie Fabien RAHARILAMBONIAINA, Évêque de Morondava,
Vice-Président
S. Exc. Mgr Jean Claude RANDRIANARISOA, Évêque de Miarinarivo,
Secrétaire Général
S. Exc. Mgr Benjamin Marc RAMAROSON, Archevêque d’Antsiranana et Administrateur apostolique d’Ambanja
S. Exc. Mgr Odon Marie Arsène RAZANAKOLONA, Archevêque d’Antananarivo
S. Exc. Mgr Fulgence RABEONY, Archevêque de Toliary
S. Exc. Mgr Fulgence RABEMAHAFALY, Archevêque de Fianarantsoa,
S. Exc. Mgr Georges Varkey PITHIYAKULANGARA, Évêque de Port-Bergé
S. Exc. Mgr Marcellin RANDRIAMAMONJY, Évêque de Fénérive-Est
S. Exc. Mgr Jean de Dieu RAOELISON, Évêque d’Ambatondrazaka
S. Exc. Mgr Saro Rosario VELLA, Évêque de Moramanga
S. Exc. Mgr Gustavo BOMBIN ESPINO, Évêque de Maintirano et Administrateur apostolique de Mahajanga
S. Exc. Mgr Philippe RANAIVOMANANA, Évêque d’Antsirabe
S. Exc. Mgr Fidelis RAKOTONARIVO, Évêque d’Ambositra
S. Exc. Mgr José Alfredo CAIRES DE NOBREGA, Évêque de Mananjary,
S. Exc. Mgr Fulgence RAZAKARIVONY, Évêque de Ihosy
S. Exc. Mgr Gaetano DI PIERRO, Évêque de Farafangana
S. Exc. Mgr Zygmunt ROBASZKIEWICZ, Évêque de Morombe
S. Exc. Mgr Vincent RAKOTOZAFY, Évêque de Tolagnaro
S. Exc. Mgr Jean Pascal ANDRANTSOAVINA, Evêque auxiliaire d’Antananarivo
S. Exc. Mgr Raymond RAZAKARIVONY, Évêque émérite de Miarinarivo
S. Exc. Mgr Michel MALO, Évêque émérite d’Antsiranana
S. Exc. Mgr Antonio SCOPELLITI, Évêque émérite d’Ambatondrazaka
S. Exc. Mgr Joseph Donald Léo PELLETIER, Évêque émérite de Morondava
S. Exc. Mgr Armand TOASY, Évêque émérite de Port-Bergé
Rév. P. Jean Claude RAKOTOARISOA, Administrateur diocésain de Tsiroanomandidy.